Le printemps arrive

Il paraîtrait, à écouter la grenouille des météos télévisées, que le mois de janvier était très froid. Rendez-vous compte, mon bon môôônsieur, moins dix degrés sur quelques jours et comme si cela ne suffisait pas à terrifier le français moyen, on eut recours aux mesures du ressenti, qui lui frisait les moins quinze. Ils n’ont pas osé parler de ce que nos cousins de Québec appellent le ressenti éolien. Là nous aurions battu tous les records.
Bon, pour un Jurassien, tout cela était bien sympathique à entendre et je me réjouissais de ce qui ressemblait un peu à une température hivernale. Et puis février sans prévenir, nous apporte un premier aperçu du printemps. Soudain les batraciens s’affolent dans leur bocal et crient au réchauffement climatique. Vas donc comprendre mon bon môôônsieur !!
Bon, pour un Jurassien tout cela était bien sympathique à entendre et je me réjouissais de ce qui annonçait un peu une première petite sortie à moto.
Oh, pas très loin. Juste un petit aller-retour à la grand ’ville voisine. Car, il faut que je vous l’dise mon bon môôônsieur, j’habite à la campagne moi ! Voilà, deux fois cinquante kilomètres, ça suffira pour dérouiller les genoux et les poignets.
Alors là, mon bon môôônsieur, que du bonheur. Imaginez le ressenti !!! Déjà vous repassez les habits du motard soucieux de sa protection. Vous mettez quelques petits compléments hivernaux. Eh oui, mon bon môôônsieur, le ressenti éolien à moto ce n’est pas de la roupie de sansonnet ! Voilà c’est fait : gants d’hiver, tour de cou, poignées chauffantes, tout est parfait. Le moteur n’est pas encore très chaud mais il ronronne déjà comme un vieux matou au coin du feu.
Première, deuxième et premier Stop au bas de la rue. Rien à gauche, rien à droite ? Ça y est, c’est parti. Et maintenant, fouette cocher, la route est à nous. Visière ouverte, pare-soleil baissé, tu ne roules pas très vite. Il faut certes te remettre en selle. Mais la vraie raison est ailleurs. Tu veux respirer à plein poumon la brise nouvelle, tu ne désires qu’entendre le moindre bruit de la nature qui se dégourdit elle-aussi qui, à nouveau, s’éveille. Rien, cependant, à cette période, qui ne le laisse apparaître. Pas encore de bourgeons, peu de chants d’oiseaux, pas de vaches dans les prés, mais simplement cet air différent, renaissant, qui te frotte le visage, cette sensation étrange de faire corps avec ton environnement. Tout à coup tu deviens autre, tu entres dans un monde que tu avais remisé au début de l’hiver. Tu revis, tout est différent. Tu roules tranquillos, même pas envie d’essorer la poignée droite. Non, il faut s’accaparer l’instant, le vivre à cent pour cent, ne rien perdre de chaque seconde qui s’égrène. C’est ta première sortie à moto, alors tu as envie de renouer avec tes sensations de débutant, tu veux rendre hommage à tout ce qui t’a enchanté par le passé, tu ne souhaites pas découvrir de nouvelles sensations. Il faut, avant de te lancer dans des aventures inconnues, réviser tout ce que tu as appris, il te faut redevenir le sage débutant, le jeune pas encore très accompli, il faut renaître à la moto. Les accélérations, les prises d’angles, tout ce qui te réjouiras toujours et qui énervera ces dames et ces messieurs de la L.C.V.R (Ligue contre les voluptés routières) ce sera pour après. Pour l’instant, ta devise est « Carpe diem » et tu l’appliques jusqu’au bout des repose-pieds.
C’est ainsi que le nez au volant, l’esprit dans les nuages et les yeux sur la route et tout ce qui l’entoure je suis arrivé à la grand’ville. Là, petit tour dans une librairie qui vend non pas des livres à sensation, mais de la culture imprimée. C’est très différent. Tu peux discuter avec un des vendeurs, un des conseillers qui te guide et te donne envie de découvrir. Tu repars avec, sous le bras, un petit bouquin que tu iras ouvrir en dégustant un double crème à la terrasse d’une brasserie toute proche.
La terrasse de cette brasserie, qui peut savoir ce qu’elle représente pour moi ? Quand j’étais en première année de Faculté, je n’avais pas un sous en poche, préparant des concours, je n’avais pas le temps, alors je passais et je regardais toutes celles et tous ceux qui buvaient un petit verre à la terrasse de cette brasserie. Pour les étudiants de cette petite ville c’était un peu leur « Flore » leur « Deux Magots », mais ce n’était pas pour moi. Je n’en étais, ni triste, ni envieux, j’avais trop de projets en tête pour m’arrêter à ces choses. Quand je suis revenu dans cette région après mes études, je me suis offert un double crème à la terrasse de cette brasserie. A chaque fois que je m’y pose depuis, le double crème a toujours la même saveur. Tu es là assis à regarder ceux qui passent. Ton esprit fait de la chaise longue face aux premiers rayons de soleil qui traversent les branches encore nues des arbres. Le garçon que tu as entendu venir derrière toi, mais que tu laisses arriver et s’immobiliser devant toi, lâche cette phrase magique « Et pour vous ce sera ? » « Un double crème s’il vous plait ». Et tu attends. Ah, le plaisir de l’attente ! Il n’y a pas qu’en amour qu’il est délectable. « Voilà pour monsieur », « Merci ». Pas de précipitation, ne pas rompre le charme, l’attente trop subitement, trop brutalement, mais laisser faire le temps, laisser monter le plaisir. J’ai abandonné mes rêveries de motard solitaire comme aurait dit notre cher Jean Jacques, s’il avait connu les motos et j’ai ouvert mon nouveau livre. Il n’était pas question de commencer la lecture, non, simplement entendre le bruit des feuilles qui se tournent, poser ses yeux de-ci de-là pour savoir si par hasard ils ne trouveraient pas une « belle » phrase qui invite à poursuivre la lecture. Fermer ce livre, regarder la quatrième de couverture que tu connais déjà par cœur, le reposer, prendre une nouvelle gorgée du double crème, à nouveau saisir le bouquin qui commence à devenir familier. Tu laisses un petit pourboire, car tu sais ce qu’est ce métier de serveur pour l’avoir exercé pendant tes vacances afin de payer tes études, Que tout cela est bon. Et puis tu te lèves, tu repasses ta veste d’hiver, ton tour de cou, tu rejoins ta moto. Pas de précipitation, rien ne presse. Car aujourd’hui plus de cours à réviser, plus de concours à préparer. Il suffit de jouir de l’instant et quelle belle occupation !
Tu tournes la clé de contact, à nouveau le ronron du flat se fait entendre. Première, rien à gauche, rien à droite ? C’est parti pour le retour. Petite démangeaison, un petit clin d’œil dans le rétro, parfait, pas de voiture derrière qui cacherait un radar embarqué, rien sur le bord de la route, ni à gauche, ni à droite, alors ? Lâchons les chevaux ! Ils sont bien au rendez-vous et piaffaient d’impatience. Que c’est bon, puis retour à des vitesses raisonnables pour finir cette première sortie.
Pour terminer une petite question : Peut-on connaître tout cela enfermé dans une carrosserie qui se déplace sur quatre roues ? Non, mon bon môôônsieur, le ressenti printanier, on ne peut le respirer qu’à moto.

Serge Grandvaux.

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