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Baccalauréat Session 2016

Epreuve de Philosophie

 

4 heures : coefficient : 4

 

Sujet : Est-il raisonnable d'aller au Tourist Trophy ?

 

 

Pour répondre à cette question, à cet éminent problème existentiel, il est nécessaire au préalable de bien en définir chacun de ses termes. Ensuite nous serons à même de donner des arguments pour et contre ce questionnement, et enfin nous pourrons à notre tour, nous interroger sur la pertinence même d'une telle question. Ce seront les trois points du développement qui suit.

 

Que signifient pour le commun des mortels ces mots que sont l'adjectif raisonnable, le verbe aller et le nom propre composé Tourist Trophy. ? Il nous semble plus judicieux de commencer par l'explication du verbe aller. Aller dans le langage courant, c'est « se rendre à ». Ceci implique un mouvement, donc un moyen de locomotion, qu'il nous faudra définir. Mais plus encore, lorsque l'on va quelque part, c'est le plus souvent dans un but bien précis. Cette destination peut-être touristique : je vais en vacances à Cap Breton. Ce déplacement peut revêtir un caractère d'obligation : je vais à l'hôpital. Comme on le voit par ces deux exemples, que nous pourrions multiplier, c'est le contexte de la phrase qui donne une signification particulière à ce petit verbe en apparence anodin. En l'occurrence, va-t-on au Tourist Trophy pour participer ou pour regarder ? Là encore les verbes nous jouent des tours. Pour qui connaît cette épreuve, il tombe sous le sens qu'il y a mille façons d'aller au TT (expression consacrée que nous emploierons dorénavant). On peut se rendre sur cette île pour participer à cette épreuve, en vue de « la gagne ». Cela suppose que l'on dispose d'un budget très important, d'une équipe performante, d'une « machine » affutée. Cela n'est bien sûr réservé qu'à une élite de pilotes hors normes, que l'on peut facilement compter sur les doigts des deux mains. Ensuite, il y a tous les autres, qui ne sont inscrits que pour se mesurer à eux-mêmes et au chronomètre. Pour eux, et pour elles, car il y a aussi des femmes engagées, c'est la lutte contre le chrono (on ne dit pas chronomètre en compétition c'est trop long, cela ne va pas assez vite), contre soi, contre sa propre peur. Mais c'est aussi la recherche de la bonne, de la meilleure trajectoire, du freinage le plus tardif, de l'accélération la mieux dosée, du déhanchement au bon moment. C'est donc la recherche de la perfection. Pour ceux qui briguent un podium, tout cela existe aussi mais à une vitesse supérieure.

 

On retrouve-là des comportements totalement rationnels, qui rejoignent ceux du jardinier qui déploie tout son savoir-faire pour obtenir de beaux légumes, de jolies fleurs. La motivation est la même : le plaisir du geste adéquat parfait. Le bonheur pour sa propre réussite, mais aussi pour le partage de son propre bonheur. On retrouve là la générosité de ceux que l'on qualifierait peut-être trop rapidement d'égoïstes. Tous ces acteurs, du jardinier au pilote de course, aiment partager. Ne pourrait-on pas affirmer qu'ils ont besoin de ce partage, de la reconnaissance de leur art pour vivre pleinement leur passion ? Nous pensons avoir démontré ici ce que signifie aller au Tourist Trophy, en ce qui concerne les compétiteurs. Qu'en est-il des autres qui eux aussi « vont au TT » ?

 

En effet, ils sont également nombreux à se rendre sur l'Ile de Man (IOM) sans idée de compétition. Alors quelle est leur motivation ? Nous serions plus près de la vérité en écrivant "leurs" motivations. Sans être exhaustif, nous pouvons avancer plusieurs raisons. La première est certainement de « voir les courses ». Cela semble une lapalissade. Les nombreux écrits de sociologues reconnus, comme par exemple John Mac Kiki, titulaire de la chaire de Sociologie des sports mécaniques à l'Université d'Oxford, ou encore la célèbre Natalia Piennetrovna de l'Université russe de Sankt Dizief, attestent que ce n'est pas la seule motivation qui conduise tant de fans sur l'IOM. Certains effectivement connaissent tous les noms des pilotes, leurs palmarès, les écuries qui les engagent, les dernières performances qu'ils ont réalisées. On les reconnait facilement le long du parcours. Ils ont l'oreille collée à leur radio portable branchée sur radio TT. Ils tiennent leur crayon, fébrilement, prêts à consigner toute information reçue sur leur programme officiel, leur Bible à eux. Indéniablement ceux-là viennent « pour voir ». D'autres moins passionnés, moins connaisseurs, viennent pour voir aussi, mais plus comme curieux que comme passionnés. Il faut admettre que parfois la frontière s'estompe entre ces deux catégories et qu'il est difficile de les différencier. Il s'agit plus de nuance que de différence. A cette envie de « voir la course » s'ajoutent beaucoup d'autres raisons d'aller au Tourist Trophy. La découverte de paysages enchanteurs qui éblouissent le néophyte, la conduite sur de petites routes qui affolent les meilleurs GPS et qui offrent de nombreuses surprises, la vie en groupe, le retour à la nature sur un terrain de camping, la rencontre avec l'autre, soit l'insulaire qui parle de son pays, soit le touriste qui partage les mêmes motivations. Nous pensons avoir donné un éclairage assez complet au verbe aller. Nous avons signalé plus haut dans notre copie que tout déplacement impliquait un mode de locomotion.

 

Dans le cas qui nous est soumis, nous pouvons admettre que très majoritairement, les déplacements s'effectuent au moyen de la motocyclette que nous appellerons, pour rester au plus près de la réalité "moto". Ce moyen de transport, s'il est jugé moins confortable par les habitués de l'automobile, offre à ceux qui s'y adonnent, de nombreux motifs de se réjouir. C'est en premier lieu le bonheur de ne pas se sentir enfermé. Il paraît que les motards, pour traduire cela, parlent de « caisseux », en persiflant ceux qui préfèrent l'espace clos de la voiture. Nous leur laissons la responsabilité de ce qualificatif. Ensuite, ces deux roues permettent à leur propriétaire de ne pas se laisser piéger dans les nombreux embouteillages. Il existe encore quelques avantages de cette nature que nous n'évoquerons pas ici, de peur d'alourdir notre dissertation. Il est un des aspects que nous ne saurions cependant passer sous silence : le motard a l'esprit grégaire. Il aime par-dessus tout se déplacer en bande. Certes, nous pouvons parfois croiser un solitaire sur la route, mais ce n'est pas le cas le plus fréquent. De grands professeurs du comportement se sont penchés sur cet aspect des choses. Citons parmi les plus éminents, le Mannois Mike Jourquiney. Il recourt systématiquement à la méthode expérimentale et pragmatique. Il s'est appliqué à suivre à de nombreuses reprises des groupes « allant au TT », et en a tiré de merveilleux ouvrages riches d'enseignements et largement illustrés, qui font actuellement référence. Citons aussi les recherches du célèbre John Michael Prud'Hum qui représentent certainement la somme la plus complète dans ce domaine. Nous découvrons en feuilletant les ouvrages que nous venons de citer, la vie d'un motard sur l'île, faite de découvertes touristiques et bucoliques, de fraternité, de complicité autour d'un apéritif, de discussions à l'infini etc. Pour être complet rappelons que certains « vont au TT », puisque tel est notre sujet, avec leur jogging et leurs chaussures de sport rangées dans ce qu'ils appellent un « top caisse » genre de valise attenante à leur machine. Ils ne veulent pas perdre l'occasion de courir le matin dans l'air frais et iodé de l'île, "à l'heure où blanchit la verte colline", pour reprendre les paroles du célèbre poète. Ainsi avons-nous expliqué ce que veut dire "aller au TT". Maintenant, il convient de savoir si cela est bien rationnel. C'est ce que nous allons essayer de démêler dans le paragraphe suivant.

 

Tous les philosophes depuis l'antiquité se sont penchés sur ce problème fondamental et indissociable de la pensée : Qu'est-ce qu'un être rationnel ? Une tautologie voudrait qu'on le définisse comme un être doué de raison. Alors, on en vient à se poser la question : qu'est-ce que la raison ? Sans recourir à la pensée complexe de certains, nous nous appuierons ici sur les écrits pleins de sagesse du philosophe contemporain Jules Dubonsens, qui nous a hélas quittés récemment. On mesure à quel point sa disparition est tragique pour notre époque. Il avait coutume d'écrire dans ses nombreux traités sur la question : la raison consiste à reconnaître le vrai du faux, le juste de l'injuste, et d'être capable d'enchaîner plusieurs propositions qui ne se contredisent pas. La raison impose aussi de respecter les idées des autres. C'est justement en se frottant aux pensées des autres que l'être, naturellement non doué de raison, l'acquiert progressivement. On reconnaît là la dette qu'il avait envers Montaigne et la critique implicite de l'œuvre des Duch'Nock et Connard deux auteurs hélas largement publiés de nos jours, et trop souvent cités pour justifier des propos inacceptables.

 

Nous avons précédemment en parlant du verbe aller et de la moto, largement justifier la rationalité « d'aller au Tourist Trophy ». On objectera à cela le risque de mort et la stupidité de regarder « tourner » des engins à plus de deux-cents kilomètres par heure en moyenne, au milieu de la campagne et à travers de paisibles bourgades. Tout cela est vrai. Mais faisons acte de raison et comparons, même si comme l'affirme le dicton populaire, « comparaison n'est pas raison ». Le nombre de morts n'est pas plus élevé que dans d'autres sports. Nous parlons bien sûr de sports mécaniques, mais pas uniquement. Citons la voile, le football avec ses débordements, l'alpinisme. Un des héros de cette discipline, dans les années soixante, n'a-t-il pas qualifié ces hommes de « Conquérants de l'inutile » ? Alors, si l'homme se veut rationnel, il doit réfléchir à tout ce qui tue dans le monde et pas seulement au TT. A-t-on évoqué le nombre de morts à cause de l'alcoolisme, à cause des dépressions dues au travail imposé par le système économique, à cause du chômage ? Ne parlons même pas des guerres qui endeuillent la planète quotidiennement. Comme on le voit, sans qu'il soit besoin de multiplier ces décomptes macabres, nous renvoyons à ce propos à l'excellent article d'Hervé Gantner, ancien coureur au TT, et cité dans la bibliographie du baccalauréat. La rationalité ou l'absence de raison pour aller au TT ne saurait se mesurer à l'aulne des décès annuels. Il faut la détourner au profit d'une autre question : l'homme peut-il vivre sans l'inutile ? L'homme est-il enfermé dans la dure nécessité, comme le disait Homère, de tisser la toile à la sueur de son front ? Ne peut-il pas, sans perdre sa raison, sans perdre sa raison d'être, s'évader ? Si la réponse était « non » à cette question, alors quid de la poésie, quid de la musique, quid de l'œuvre d'art ?

 

Au fil de notre argumentation, il nous paraît que nous avons réussi à démontrer que "aller au Tourist Trophy " n'est pas une idée déraisonnable, une idée folle, bien au contraire. Nous avons essayé d'expliquer, à partir de ce cas bien particulier, que l'homme a besoin de se sublimer. S'il n'en est pas capable lui-même, alors il écoutera Beethoven, Mozart, les Beatles ou il tapera sur une vieille boîte de conserve, il admirera les tableaux de Van Gogh, de Tiepolo ou il barbouillera une toile, il courra n'importe où, il gravira l'Everest ou la colline en face de chez lui, il dansera, il chantera devant sa glace, toutes choses totalement inutiles et tout aussi totalement indispensables, vitales. Et, bien sûr, « plein d'usage et raison », pour citer du Bellay, il retournera au Tourist Trophy.

 

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